Dans bien des lieux, les montagnes, les rochers, les glaciers, les fleuves, les lacs, les océans et les phénomènes météorologiques sont considérés comme actifs. Ils font partie de la communauté du vivant et font monde avec les humains et les autres êtres.
Les systèmes juridiques régissent les intérêts, la propriété et l’autorité des humains. Ils justifient les violations, la pollution et la surexploitation des terres et de l’eau. Les peuples autochtones et les mouvements écologistes exigent de nouveaux droits pour les fleuves, les lacs et les montagnes. C’est ainsi que la terre-mère, Pachamama, est entrée dans la constitution nationale de l’Équateur en 2008 et dans celle de la Bolivie en 2009 en tant que dispensatrice de la force vitale. En 2017, le gouvernement néo-zélandais a accordé au fleuve Whanganui, ancêtre et membre de la famille des Maori, le statut de personne dotée de ses propres droits.
« Nous appartenons au fleuve, le fleuve ne nous appartient pas, le fleuve nous possède » Gerrard Albert, 2019
Dans l’hindouisme, le mont Meru ou Sumeru marque le centre du monde. Il est entouré de montagnes, lacs et continents ordonnés de façon circulaire. Au cœur du mont Meru réside le dieu Indra dans son palais. L’image est à la fois un outil d’enseignement et un objet de méditation. Il exprime les relations entre les mondes physiques et spirituels.
- Montagne du monde Sumeru, thangka | Tibet | 1872 | lin, gouache, brocart | collection Gerd-Wolfgang Essen, don FMB 1998 | IId 13862
Dans le jaïnisme, une communauté religieuse née en Inde, tous les êtres vivants aspirent à la libération du cycle des renaissances. Sont considérés comme vivants tous les êtres disposant d’un ou de plusieurs sens, ce qui inclut par conséquent non seulement les plantes et les animaux, mais aussi la terre, l’eau, l’air et les minéraux. À leur égard s’applique le principe de la non-violence ou de la non-nuisance, ahimsa. Les jaïns sont donc strictement végétariens et cultivent des relations respectueuses avec leur co-monde. Les guides spirituels comme les tirthankara (lit. ‹faiseurs·euses de gué›) rappellent ces principes. Ils sont représentés nus, car la non-nuisance inclut également le renoncement aux possessions matérielles. Parshvanath est considéré comme le promulgateur des quatre règles fondamentales qui, dans le jaïnisme, mènent à la libération : ne pas nuire, se comporter conformément à la vérité, ne pas voler et ne rien posséder d’inessentiel.
- tirthankara, sculpture d’un guide spirituel du jaïnisme | Gersoppa, Karnataka, Inde | avant 1850 | pierre | inspecteur de mission Joseph Friedrich Josenhans, don 1854 | IIa 288
- tirthankara Parshvanath, guide spirituel du jaïnisme | Gujarat, Inde | XVIIe/XVIIIe s. | bronze | Jean Eggmann, don 2003 | IIa 11304
Dans de nombreuses régions d’Inde, les ‹pierres de serpent›, nagakal, font partie d’autels à ciel ouvert. Les pierres sculptées sont placées sous des arbres pour demander la fertilité et protéger les champs. Parfois, des termitières non habitées sont transformées en lieux de culte pour vénérer les serpents. On fait des offrandes et on donne du lait aux reptiles qui y vivent. Les Nagaraja, mythiques rois des serpents, sont particulièrement vénérés. Ils sont considérés comme les protecteurs de trésors souterrains dont ils font bénéficier ceux qui leur accordent leur protection.
- nagakal, pierre de serpent | Inde | avant 1971 | pierre, peinture | collection de la Mission bâloise, dépôt 1981, don 2015 | IIa 9214
- nagakal, pierre de serpent | Inde | non daté | pierre, peinture | collection de la Mission bâloise, dépôt 1981, don 2015 | IIa 9839
Krishna, le populaire dieu-berger, est la huitième incarnation du dieu hindou Vishnu. Par le son de sa flûte, il peut envoûter aussi bien les humains que les animaux et manifester son affection à tous les êtres vivants. Lorsqu’il était enfant, il parvint à vaincre le serpent Kaliya qui empoisonnait l’eau du fleuve Yamuna. Au lieu de le tuer, Krishna lui ordonna de vivre désormais dans la mer pour que les humains et les animaux puissent à nouveau se baigner sans danger dans le fleuve.
- nagakal, pierre de serpent au Krishna dansant | Madurai, Tamil Nadu, Inde | avant 1920 | granit | Fritz Sarasin, don 1925 | IIa 549
Dans les Andes, la terre est personnifiée en tant que mère nourricière, Pachamama. Les humains doivent lui montrer respect et sollicitude et lui faire des offrandes. En échange, ils obtiennent le fruit des récoltes et les troupeaux de lamas, la santé et la fertilité. La négligence ou un manque de respect provoquent sa colère. Si Pachamama est blessée, elle punit les humains par des gelées, des sécheresses ou des tempêtes, des avalanches et des tremblements de terre.
Parmi les rares représentations figuratives, on trouve des petits sacs en forme de femme avec des enfants, que l’on nomme les sacs Pachamama. Ils servent à conserver de l’argent, des offrandes et des amulettes. Cela permet d’assurer l’abondance dans le ‹ giron fertile › de la divinité-mère.
« Nous, habitants des Andes, ne pouvons pas nous concevoir comme des êtres séparés de notre mère-terre, et nous ne pouvons pas non plus nous imaginer la Terre comme une planète inerte, sans vie. […] Nous sommes les fils et les filles de la terre Pachamama, c’est pourquoi notre cohabitation est harmonieuse et empreinte d’un grand respect. Car nos ancêtres disaient que la terre pense, parle, ressent et aime comme une mère ses enfants. » Leonidas Mamani, 2019
- Sac Pachamama | Ayata, Bolivie | XXe siècle | Laine | Thomas Meyer, achat 2003 | VI 43351
À travers des rituels d’apaisement et de réconciliation, les humains s’adressent à Pachamama. Selon la région et le type de rituel, on lui fait offrande d’aliments, de tabac, de feuilles de coca, de fleurs et d’animaux qu’on dépose dans la maison ou au sommet des montagnes, dans les fleuves et les sources ; on chante et on danse pour elle. Dans les lieux importants, les dons sont déposés sur une couverture à même le sol, dans le giron de la terre. Les premiers fruits des champs lors des récoltes lui sont offerts. Quand on boit, il faut arroser la terre avec la première gorgée, car elle aussi a ‹ soif ›. Dans des récipients de céramique, les humains offrent de la graisse de lama et des boissons alcoolisées à Pachamama.
- Feuilles de coca | Chia, Pérou | avant 1973 | coca | Jean Louis Christinat achat 1973 | IVc 15973
- Récipient à offrandes pour chicha, cocha para chicha | Uru‑Chipaya | Chipaya, Oruro, Bolivie | vers 1980 | argile cuite, laine | Collection Valentin Jaquet, don 2012 | BO 1337B
- Récipients à offrandes en forme de lama | Pérou | vers 1979 | Argile cuite | collection Valentin Jaquet don 2012 | PE 330, PE 331
- Récipients à offrandes en forme de lama | Pérou | 1979-1980, 1999 | argile cuite | collection Valentin Jaquet don 2012 | PE 333, PE 511, PE 920, PE 929B
Sur le continent africain, ainsi qu’au sein de la diaspora africaine au Brésil et dans les Caraïbes, Mami Wata incarne l’eau. Elle est vénérée, mais aussi crainte : comme l’eau, Mami Wata peut offrir la fertilité et la force vitale, l’abondance et le bonheur, mais ses flots sont aussi des forces menaçantes, imprévisibles et destructrices. Mami Wata et d’autres esprits de l’eau habitent les récifs de corail, les sources, les fleuves et les lacs. Ce sont les propriétaires des eaux ; ils surveillent la façon dont sont traités et répartis les biens communs comme l’eau et la terre, les poissons et les récoltes.
- Mami Wata, peinture sur verre | Bamako, Mali | avant 1979 | verre, carton, papier kraft, peinture | Bernhard Gardi, achat 1980 | III 22019
- Mami Wata, peinture sur verre | Bamako, Mali | avant 1987 | verre, peinture | Bernhard Gardi, achat 1987 | III 24660
Des êtres semblables aux humains, les boson, vivent au sommet des montagnes, dans les fleuves, les points d’eau et les arbres. Des spécialistes rituels assemblent des sculptures et des objets puissants sur des autels qui leur sont dédiés. Lors de séances accompagnées de chants et de tambours, les spécialistes entrent en contact avec les boson pour solliciter santé, fertilité et bien-être.
- Autel boson | Anyi | Côte d’Ivoire | XXe siècle | bois, peau, tissu, métal, verre, raphia, plastique | Kunstpalast Düsseldorf, don 2012 | III 27716— III 27720
Les artistes du cercle ‹Saint-Soleil› fondé en 1973, dont Richard Antilhomme (1922-2002), se sont intéressés au vaudou dans leurs créations. Dans cette philosophie et pratique spirituelle aux multiples facettes, Bondye, le dieu suprême, veille sur le monde à l’aide des loa, des esprits. Ils interagissent avec le vivant et le non-vivant et maintiennent ainsi l’équilibre au sein du cosmos. Les artistes rapportent que pendant leurs séances de peinture, des loa ‹ prenaient possession › d’eux : en état de transe, ils et elles représentaient ce que les esprits voulaient.
« Quand je peins un tableau, c’est le pinceau qui me guide. … L’oiseau t’apparaitra dans la nuit ; il te parlera et tu le comprendras. C’est exactement de la même façon que tous ces esprits seront en lien avec toi. Ils garantissent que tout se déroule bien. Cet esprit protège ton champ et sa croissance, tu vois ? Si tu ne l’as pas, ta semence peut être volée, mangée par des animaux ou rester stérile. Cet esprit veille donc à ce que ton champ pousse bien. Pense qu’on doit prêter attention à ce que disent les animaux. » Richard Antilhomme, 2018
- ‹Esprit de la semence›, peinture | Richard Antilhomme | Haïti | 1990-1995 | huile sur carton | Heinrich Thommen et Marlyse Thommen-Strasser, don 2019 | IVc 26986
L’‹esprit du feu› et de l’art de la forge, Ogoun veille sur tout ce qui est en métal. Il descend d’une dynastie d’esprits puissants de guerriers yoruba d’Afrique de l’Ouest. Le rouge est la couleur dominante d’Ogoun. Elle incarne le feu, sa puissance transformatrice et destructrice. Ici, il apparait avec un chien, son animal préféré.
‹Esprit Macaya› fait référence à l’une des principales fêtes du vaudou haïtien. Elle a lieu fin décembre et symbolise le triomphe de la lumière sur l’obscurité. macaya désigne en particulier les feuilles sacrées qu’avec d’autres ingrédients, on ajoute à des bains purifiants organisés dans le cadre de la fête. Lors de la cérémonie de purification, celles et ceux qui servent les loa renouvellent leurs énergies pour entrer purifiés et protégés dans la nouvelle année.
- ‹Esprit du feu›, peinture | Richard Antilhomme | Haïti | 1990-1995 | carton rigide, peinture à l’huile | collection Heinrich Thommen et Marlyse Thommen-Strasser, don 2019 | IVc 26985
- ‹L’esprit Macaya›, peinture | Richard Antilhomme | Haïti | env. 1989 - 1991 | bois, peinture à l’huile | collection Heinrich Thommen et Marlyse Thommen-Strasser, don 2019 | IVc 26984
Les vallées alpines du canton du Valais sont difficiles à exploiter, car elles sont très sèches. On raconte que lors de la création du monde, Dieu aurait demandé à la population valaisanne qui devait assumer la responsabilité des eaux : lui ou la population ? La population valaisanne répondit : « Nous préférons nous en charger, il n’y a que comme cela que nous saurons que c’est bien fait. »
Pour l’irrigation, on construisit à grand-peine des canaux le long des versants escarpés afin de mener l’eau des fontes dans les champs de la vallée. Le bisse de Niwärch est déjà mentionné dans des documents de 1388 et consiste aujourd’hui encore en une voie de près de trois kilomètres en direction d’Ausserberg. Les bisses sont gérés et entretenus par les consortages. Les droits sur l’eau et les obligations collectives ont longtemps été consignés sur des tachères.
- Partie du bisse de Niwärch | Ausserberg, Valais, Suisse | avant 1914 | bois | Friedrich Gottlieb Stebler, achat 1914 | VI 6137
- Photographie du bisse de Niwärch | Baltschiedertal, Valais | vers 1914 | reproduction d’un positif n/b sur papier gélatino-argentique | Friedrich Gottlieb Stebler 1914 | documents de la collection du MKB VI_0645
- Tachères | Zeneggen, Valais, Suisse | vers 1841 | bois | Friedrich Gottlieb Stebler, achat 1923 | VI 9763