Vivant
bien plus que des mondes humains


Textes exposition

Une sorcière raconte une histoire de conquête, d’exploitation et de destruction causées par les humains. Durant son récit, le charme de l’histoire, le sortilège, commence à se dérouler et faire effet sur l’ensemble de l’existence.

« Puis ils s’éloignent du monde
puis ils s’éloignent du soleil
puis ils s’éloignent des plantes et des animaux.
Ils ne voient pas de vie.
Lorsqu’ils regardent
ils ne voient que des objets.
Le monde est pour eux une chose inerte
les arbres et les fleuves ne sont pas vivants
les montagnes et les falaises ne sont pas vivantes.
Les chevreuils et les ours sont des objets.
Ils ne voient pas de vie.
Ils ont peur.
Ils ont peur du monde.
Ils détruisent ce dont ils ont peur.
Ils ont peur d’eux-mêmes. »
Leslie Marmon Silko

Que se passera-t-il si nous parvenons à rompre ce sortilège ?

Si les montagnes, les fleuves, les arbres, les animaux, les champignons, les choses, les esprits et les aïeuls sont des êtres vivants qui coexistent et interagissent avec nous ?

La crise planétaire nous pousse à repenser et renouer nos relations avec notre co-monde. Les histoires et les choses de cette exposition transmettent des expériences, des pratiques et des savoirs issus de mondes divers. Elles ont le potentiel de modifier radicalement nos relations et notre coexistence.

Bien plus qu’un arbre

Un arbre sculpté, thulu, est « bien plus qu’un arbre » pour les communautés Kamilaroi d’Australie : c’est un ancêtre, un membre de la famille. Il incarne le savoir et est doté de la capacité d’agir. Les entailles sur son tronc sont liées à des groupes familiaux précis, elles racontent leur histoire et leur donnent une voix. Ce thulu a été brutalement enlevé d’un lieu de cérémonie au début du XXe siècle et s’est retrouvé au MKB en 1940 par l’entremise du National Museum de Sydney. Il évoque simultanément les traumatismes causés par la colonisation et par l’expropriation.

  1. thulu, Arbre des ancêtres | Boggabri, Kamilaroi Country, Australie | avant 1940 | bois | collection Lucas Staehelin, don 1940 | Va 637

« Sur le dessin, on peut voir un thulu, un arbre, aussi nommé ‹ arbre à cicatrices › (scarred tree). Un morceau d’écorce lui a été prélevé, à la verticale, afin de construire un bouclier ou un canoë. Il atteste des pratiques des Kamilaroi, qui ne nuisent pas à l’arbre et lui permettent de continuer à vivre.

Chacune des trente feuilles juxtaposées qui composent l’œuvre exprime l’abstrait, le métaphysique et l’immatériel. La relation entre les feuilles transpose cette abstraction dans une représentation du pays (country) et du thulu modifié qui démontre leur capacité d’agir. Les dessins reflètent la subjectivité de la terre et notre interaction avec les arbres. »

  1. Culturally modified Thulu: Methexical Countryscape Kamilaroi›, Thulu culturellement modifié : paysage méthexical Kamilaroi | Brian Martin |2023 | fusain, papier | prêt de l’artiste

En décembre 2022, lors d’une cérémonie, Brian Martin et Alfred Priestly, membres de la communauté Kamilaroi, ainsi que Bradley Webb, membre de la communauté Bundjalung, ont rétabli les liens entre l’arbre des ancêtres et les communautés Kamilaroi. Ce faisant, ils ont entamé un processus visant à restaurer et réorienter les relations. Les communautés Kamilaroi souhaitent le retour de l’arbre et ont demandé sa restitution. Le rapatrier permettrait de faire un travail critique sur les expériences coloniales et de nouer de nouveaux liens entre les communautés d’origine et le musée.

  1. thulu ugal, song tree | Simon Rose et Brian Martin | Melbourne | 2023 | court-métrage réalisé en collaboration avec le MKB, 12 min
Ressource ou source de vie ?

Les actes des humains ont des conséquences dramatiques : réchauffement climatique, pollution des sols, de l’eau et de l’air, extinction massive de plantes et d’animaux. Dans une vision anthropocentrée du monde, terres, montagnes, fleuves et objets sont considérés comme des ressources. Celles-ci sont exploitées dans l’intérêt d’un système économique globalisé tourné vers le profit, à l’avantage d’entreprises et de pays riches. Les pratiques colonisatrices et extractivistes, qui s’accompagnent de violences, d’expropriations et de déplacements forcés, se poursuivent jusqu’à ce jour.

« Toutes ces formes de domestication et de domination de la nature ont produit un tel désastre qu’il n’est pas certain que la vie sur terre puisse se poursuivre. » Anna Tsing, 2020

« Lorsque nous parlons de pays (country), nous ne pensons pas uniquement à la terre, mais aussi aux eaux, aux humains, aux vents, aux animaux, aux plantes, aux histoires, aux chants et aux sentiments, à tout ce qui devient ensemble pour former un lieu. Le pays (country) vit pour nous, il prend soin de nous, communique avec nous, et nous sommes partie de lui. » Laklak Burarrwanga, 2019

 

Le Gran Chaco (Paraguay, Argentine, Bolivie) présente l’un des taux de déforestation les plus élevés au monde : plus de 1000 hectares de forêt sèche y sont anéantis chaque jour.

« À la fin du XIXe siècle, les éleveurs de bestiaux ont envoyé des bovins dans ces plaines. Après le déplacement forcé et l’expropriation de groupes indigènes, les éleveurs ont couvert le territoire de clôtures. Jusqu’à ce jour, la déforestation et la progression des bovins font partie d’une stratégie néocoloniale et extractiviste. Ceci se fait sans aucun égard pour les droits indigènes, ni pour les conséquences sur le changement climatique. Mes œuvres invitent à questionner nos perceptions, nos préjugés et notre compréhension de l’histoire. Elles nous engagent à décoloniser notre pensée. » Miriam Rudolph, 2016

  1. ‹Colonization by cattle›, Colonisation par le bétail | Miriam Rudolph |2016 | gravure, aquatinte, chine-collé sur papier Kozo | Prêt de l’artiste

Les projets extractivistes ne s’arrêtent pas aux limites de notre planète. Dans les années 1960, le projet futuriste des Afronautes, en Zambie, peut être compris comme une parodie et une inversion des imaginaires et pratiques coloniales. Par contraste, les explorations actuelles visant à conquérir l’espace forment une continuation du colonialisme de peuplement et de l’extractivisme.

  1. ‹Afronauts›, Afronautes| Nuotama Frances Bodomo | Ghana | 2014 | court-métrage en noir et blanc, 13 min
  2. Butungakuna. Tiré de la série: Afronauts. 2011 © Cristina de Middel / Magnum Photos

Par le passé, les habitants du Haut-Sepik utilisaient ce type de boucliers de guerre pour se défendre. Il est à nouveau question de défense aujourd’hui : depuis les années 1960, on planifie dans cette région des projets de grande envergure pour extraire de l’or et du cuivre. En outre, la construction d’un barrage est envisagée. La population indigène, quant à elle, défend le fleuve en sa qualité d’être vivant.

« Pour nous ... les humains qui appartenons au fleuve ... celui-ci est un esprit vivant. Nous avons des langues et nous avons des chants et des histoires qui disent … qu’il peut se réveiller et parler avec toi. Et il dort. Il rêve. … et toutes ses formes de vie, tant les plantes que les animaux, sont ainsi liées à nous. Et c’est vraiment important. » Manu Peni, 2020

  1. inaune, Boucliers | Paupe, Sepik, Papouasie-Nouvelle-Guinée | avant 1966 | bois, peinture | collection Giesela et Meinhard Schuster, don 1966 | Vb 22939, Vb 22940, Vb 22941, Vb 22942, Vb 22943
  2. inaune, Bouclier | Oum, Sepik, Papouasie-Nouvelle-Guinée | avant 1966 | bois, peinture | collection Gisela et Meinhard Schuster, don 1966 | Vb 22945

La kesa incarne une reine, une gardienne de la terre et de l’eau. À Buka, dans la région de Bougainville, la population indigène est parvenue, grâce à des manifestations, à faire fermer une mine de cuivre qui cause des dommages considérables depuis les années 1970, et continue de nuire à la vie jusqu’à nos jours. Cette résistance contre le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée a permis au Bougainville d’obtenir le statut de région autonome. Dans ce combat, les femmes ont joué un rôle décisif.

« Nous avons certes récupéré notre organisation matrilinéaire, mais nous ne disposons plus du co-monde intact de nos ancêtres. Au lieu de cela, nous héritons des dégâts environnementaux qu’a engendrés la mine. De la même manière, l’extractivisme des administrateurs coloniaux, des collectionneurs et des marchands d’art allemands, entre autres, à la fin du XIXe siècle a laissé de profondes marques : beaucoup d’objets de nos ancêtres sont depuis dispersés dans des musées du monde entier. » Taloi Havini, 2023

  1. kesa, Sculpture d’une reine | Groupes Naka et Naboin, Buka, Bougainville, Solomon Islands | avant 1930 | bois, fibres végétales, plumes, peinture | Felix Speiser, achat 1930 | Vb 8235

Les liens avec les ancêtres et la communication avec eux sont primordiaux en Afrique de l’Ouest. Ainsi, après la mort, les âmes des ancêtres Mafa prennent place dans des pots rituels ancestraux et restent présents dans la maison pour leurs proches.

« Le pot rituel ancestral, habité, tient lieu d’intermédiaire entre la vie d’ici-bas et l’au-delà. Il établit le lien avec les ancêtres et l’être supérieur. Quand des enfants ou d’autres membres de la famille sont touchés par des maladies ou des malheurs, on fait des offrandes à l’âme qui habite le pot. Lors des fêtes également, on porte des offrandes pour remercier et demander la paix, le bonheur, la santé et la fertilité pour la famille. » Tevodai Mambai, 2023

  1. vriy, pots rituels ancestraux| Waydam | Ldamzay, Cameroun | 1953 | argile rouge cuite | Paul Hinderling, achat 1953 | III 12513, III 12514, III 12515, III 12517
  2. vriy, pots rituels ancestraux en forme d’homme et de femme | Mokolo, Cameroun | 1953 | argile | Paul Hinderling, achat 1953 | III 12519, III 12521

De petits tambours à fente jouent un rôle essentiel dans les pratiques des Yaka au Congo : on se rend chez des spécialistes rituels pour guérir de maladies, élucider les causes de mésaventures ou solliciter un conseil spirituel. Au moyen de ces tambours, ces derniers établissent un lien entre vivants et ancêtres. Un état de conscience avancé, des gestes rituels et des coups précis sur le tambour à fente leur permettent de canaliser les forces et les messages des ancêtres.

  1. n’koku ngoombu, Tambour à fente de divination | Angola ou République démocratique du Congo | avant 1933 | bois, laiton | Jean Roux, don 1933 | III 8120
  2. n’koku ngoombu, Tambour à fente de divination | République démocratique du Congo | avant 1933 | bois, métal, laiton, fibres végétales | achat d’un inconnu 1933 | III 7413

Les gros tambours qui accompagnent les évènements officiels, les cérémonies et les danses faisaient partie de l’inventaire du palais ou appartenaient à des unions. Le motif de l’araignée terrestre, sur les tambours, les couvre-chefs et les masques, était réservé à la famille royale et aux hauts dignitaires. L’araignée vit dans la terre. Or, les défunts étant rendus à la terre et recevant d’elle leur rôle d’ancêtre, l’araignée terrestre incarne leur savoir et leur force. Sa capacité à connecter le monde des vivants à celui des ancêtres se démontrait surtout lors de l’interprétation de l’avenir. Cependant, le lien avec les ancêtres a été rompu par l’enlèvement des objets rituels.

  1. Tambour représentant une araignée terrestre | Oku, Cameroun | avant 1970 | bois, fourrure, métal | Hans Knöpfli, collection de la Mission bâloise dépôt 1988, don 2015 | III 25182
  2. Masque représentant une araignée terrestre | Babanki-Mokolo, Cameroun | avant 1937 | bois | Hans Himmelheber, achat 1938 | III 1081

Dans le Cameroun précolonial, la cohabitation était régie par des unions. Celles-ci disposaient de l’autorité politique, juridique et spirituelle. Leur force et leur activité étaient incarnées par des masques qui apparaissaient lors des rites d’initiation et des cérémonies.

Dans leur langage colonial, les missionnaires désignèrent les masques et les sculptures d’« idole » et de « fétiche », les pratiques locales de « sorcellerie » et d’« idolâtrie ». L’intégration d’objets rituels dans les collections des musées les dégradèrent de l’état de sujets spirituels à celui d’objets.

« Le langage utilisé pour nommer et décrire l’étranger ne doit pas être perçu comme un simple moyen de communication ; il était porteur de savoir et contribua à transmettre une vision du monde. … En effet, il ne s’agissait pas d’apprendre à connaître l’autre mais de le conquérir. Le processus s’étendait de la dénomination des objets à leur domestication complète par l’attribution d’un sens et d’un récit nouveaux, propres aux colons. » Albert Gouaffo, 2023

  1. Masque couvre-chef | Lokjamba, Cameroun | avant 1910 | bois, graines, raphia | missionnaire Friedrich Ebding, achat 1910 | III 3249
  2. Masque couvre-chef | Yaoundé, Cameroun | avant 1906 | bois, kaolin | Carl Hoppe, Achat 1906 | III 2293
  3. Masque couvre-chef | Lokjamba, Cameroun | avant 1910 | bois, graines, kaolin | missionnaire Friedrich Ebding, achat 1910 | III 3248

Avec la colonisation, le contexte, le savoir et les pratiques liés à cette sculpture se sont perdus. Elle est le témoin d’une histoire brisée.

L’esclavage a réduit les humains à l’état d’objets, en en faisant des marchandises. À l’inverse, en Afrique de l’Ouest, on considère que les choses sont vivantes : elles servent d’intermédiaires entre les mondes humains et d’autres mondes. La mobilité globale permet de réfléchir à des analogies entre exil et déplacement forcé, migration et diaspora de personnes et de choses.

  1. Sculpture d’une femme | Yaoundé, Cameroun | avant 1906 | bois, kaolin | Carl Hoppe, achat 1906 | III 2294
Devenir ensemble

Dans les basses-terres d’Amérique du Sud, selon la conception indigène, la forêt est bien plus qu’un décor ou une ressource que l’on peut s’approprier, exploiter et commercialiser. La forêt est un être vivant doté d’une force vitale, elle dispose d’un corps et respire. C’est la maison et le monde de nombreuses communautés vivantes de plantes, d’arbres, d’animaux, d’esprits et d’humains. Ils coexistent et communiquent par le biais de chamanes.

Les animaux figurent parmi les principaux protagonistes des mythes. Ces récits parlent d’un temps où ils étaient aussi des humains qui, parce qu’ils le souhaitaient ou par punition, se transformèrent en animaux. Aujourd’hui, ils se différencient certes des humains par leurs corps, leurs habitudes et une vie menée dans leurs propres collectifs, mais ils sont eux aussi capables de percevoir, sentir, penser, parler et agir.

 

« Ne pensez pas que la forêt soit morte, posée là sans raison. Si elle était inerte, nous ne bougerions pas non plus. C’est elle qui nous anime. Elle est vivante. On ne l’entend pas se plaindre, mais la forêt souffre, tout comme les humains. Elle a mal lorsqu’on la brûle et ses grands arbres gémissent en tombant. C’est pourquoi nous ne voulons pas la laisser déboiser. Nous voulons que nos enfants et nos petits-enfants puissent s’y nourrir et y grandir. » Davi Kopenawa, 2003

« Tout en dessinant, je me souviens de mes parents et de ce qu’ils m’ont enseigné », raconte Osvaldo Pitoe. On voit les femmes en train de récolter. Selon les saisons, elles remplissent leurs grands sacs de diverses cosses, de haricots nains, de baies, de figues de barbarie, de cœurs de palmiers, de racines, d’herbes et de poivre sauvage. Pitoe accompagnait son père à la chasse. Parmi les proies de prédilection figuraient les pécaris, les mazamas, les autruches, les poules sauvages et les tatous (no 21). On n’a pas le droit de tuer plus d’animaux que ce dont on a immédiatement besoin pour se maintenir en vie. On doit partager la viande avec ses proches et les os des animaux mangés doivent être traités avec un respect particulier.

Avant de pêcher, on demandait aux ‹ femmes de l’eau ›, mères des poissons, leur permission pour ‹ prendre › un de leurs enfants. « Elles surveillent leurs enfants et les protègent. Parfois, elles en laissent un s’en aller et te le donnent, d’autres fois, elles les gardent jalousement et les cachent », explique Jorge Carema. Lorsque les pêcheurs ne montrent pas la diligence requise dans leur manière de traiter les poissons et que les ‹ femmes de l’eau › entendent leurs enfants geindre, elles retirent les poissons et les cachent dans leur maison au fond du fleuve (no 22).

Efacio Álvarez prend pour sujet les positions relatives de celui qui mange et de celui qui est mangé : des chuñas (cariamas) sont à la recherche d’orvets, tandis que le jaguar les guettent, elles et d’autres animaux de la forêt (no.24). « Le jaguar est comme nous, car il sait comment on chasse », dit-il. Comme le jaguar, les humains sont contraints de consommer de la viande pour se maintenir en vie ; leur vie et leurs âmes sont à leur tour les proies des esprits.

Le jaguar d’Esteban Klassen est en outre l’alter ego et l’assistant du chamane (no 25). Dans la conception indigène, rêver du jaguar signifie le danger, le combat et la mort. La vie de la forêt est en danger (no 26) : « À cause de la déforestation, les animaux perdent leur espace vital. Ils doivent fuir, mais n’ont plus nulle part où aller », dit Clemente Juliuz.

  1. Dessin | Marcos Ortiz | Yiclôcat, Gran Chaco, Paraguay | 2021-2022 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27651, IVc 27653
  2. Dessin | Osvaldo Pitoe | Cayin ô Clim, Gran Chaco, Paraguay | 2003-2021 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27643, IVc 27644, IVc 27646, IVc 27647
  3. Dessin | Jorge Carema | Cayin ô Clim, Gran Chaco, Paraguay | 2019-2021 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27649, IVc 27650
  4. Dessin | Efacio Álvarez | Yiclôcat, Gran Chaco, Paraguay | 2021 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27654, IVc 27655
  5. Dessin | Esteban Klassen | Yiclôcat, Gran Chaco, Paraguay | 2015-2022 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27657, IVc 27658, IVc 27659, IVc 27660
  6. Dessin | Richart Peralta | Campo Alegre, Gran Chaco, Paraguay | 2021 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27663, IVc 27664
  7. Dessin | Clemente Juliuz | Campo Alegre, Gran Chaco, Paraguay | 2018-2020 | papier, stylo | colectivo artes vivas, achat 2022 | IVc 27666, IVc 27667

Au fil de la colonisation, arete guasu, la fête des vivants et des morts, se fondit avec le carnaval chrétien. Elle est célébrée par les groupes parlant le guarani dans les basses-terres d’Amérique du Sud afin de se remémorer leurs ancêtres décédés. Ceux-ci se réunissent durant quelques jours avec les vivants pour danser, boire et manger.

Lors de cette fête, le jaguar, le cochon domestique et le taureau sont des figures centrales qui peuvent se permettre toutes les plaisanteries avec les participantes et participants. Mais les ancêtres apparaissent aussi sous forme d’animaux de la forêt.

  1. Masques d’animaux | Sierra de Tartagal, Chaco, Argentine | avant 1992 | bois, peinture | collection Jean-Claude Steinegger et Elfi Steigert, don 2020 | pécari IVc 27346, toucan IVc 27351, tapir IVc 27347

Les tabourets peuvent être de simples sièges. Mais les tabourets particuliers, comme ceux qui représentent des animaux à deux têtes, sont réservés aux dignitaires et aux chamanes. Ces derniers sont des spécialistes rituels qui communiquent avec d’autres êtres en chantant, en fumant du tabac ou en prenant certaines substances. Ils peuvent aussi se métamorphoser. La coexistence entre humains et autres êtres repose sur un équilibre entre ce qu’on donne et ce qu’on prend. Si cet équilibre est perturbé, des maladies, des conflits et des crises surviennent. Les chamanes peuvent alors servir d’intermédiaires entre les différents mondes.

« La forêt est vivante. Elle ne peut mourir que si les hommes blancs s’obstinent à la détruire. S’ils y parviennent, les fleuves disparaitront sous terre, le sol s’effritera, les arbres se dessècheront et les pierres se briseront sous la chaleur. La Terre desséchée se videra et s’immobilisera. Les esprits xapiri, qui descendent des montagnes pour jouer dans la forêt avec leurs miroirs, fuiront très loin. … Leurs pères chamaniques ne seront plus en mesure de les appeler et de les faire danser pour nous protéger. … Nous mourrons les uns après les autres, les hommes blancs tout comme nous. Tous les chamanes finiront par dépérir. Quand plus aucun d’entre eux n’aura survécu pour le soutenir, le ciel s’écroulera. » Davi Kopenawa, 2013

  1. Bancs en forme d’animaux | Haut-Xingu, Brésil | avant 2000 | bois peint | Ambassade du Brésil, don 2000 : coati IVc 25560, bébé tapir IVc 25562, martre IVc 25561, pacarana IVc 25564, caïman IVc 25563, tortue IVc 25576, jaguar à deux têtes IVc 25575, tatou IVc 25574, poisson IVc 25573, oiseau de proie IVc 25572, urubu IVc 25577,urubu à deux têtes IVc 25571

Dans ses œuvres, l’artiste Abel Rodríguez s’engage pour les mondes indigènes d’Amazonie. Il évoque leur relation étroite avec la forêt et les êtres qui la peuplent. Lui-même a grandi sur les rives du fleuve Cahuinarí, dans des communautés Nonuya et Muinane qui se nomment eux-mêmes ‹ humains du centre ›. Son oncle lui racontait des histoires sur la genèse du monde et l’introduisit à la science des plantes et des soins. Par ses dessins et ses récits, Abel Rodríguez transmet le savoir de ses ancêtres sur la forêt et la vie en communauté en Amazonie. Les conflits armés des années 1990 les ont forcés, lui et sa famille, à s’exiler à Bogota.

  1. Territorio centro indígena, aquarelle | Abel Rodríguez | Colombie | 2021 | encre, papier | achat à l’aide du fonds Georges et Mirjam Kinzel 2021 | IVc 27612
  2. Territorio indígena la sábana, aquarelle | Abel Rodríguez | Colombie | 2021 | encre, papier | achat à l’aide du fonds Georges et Mirjam Kinzel 2021 | IVc 27613

De nombreux Otomí vivent de l’agriculture : ils plantent différentes espèces de maïs, de haricots, de courges, de tomates, de piments et de fruits. Ils accompagnent le cycle agricole de divers rituels. Pour les cérémonies, durant lesquelles les guérisseur·euses demandent la fertilité et la pluie, ils fabriquent des silhouettes en papier découpé de différents êtres, aussi nommées ‹ graines ›. Ces papiers découpés incarnent et transmettent le zaki, la force vitale. En les dépliant, leurs forces sont activées et transférées, ce qui s’exprime par la fertilité et la croissance.

  1. antigua frijol rojo, force vitale du haricot rouge, antigua chile verde, force vitale du piment vert, antigua mazorea morada, force vitale du maïs violet | Sierra de Puebla, centre du Mexique | avant 1965 | papier de soie, silhouettes découpées | Kay C. Hansen, achat 1965 | IV 3257, IV 3260, IV 3261
  2. antigua jitomate, force vitale de la tomate, antigua chile colorado, force vitale du piment rouge, antigua mazorea blanca, force vitale du maïs blanc | avant 1973 | San Pablito, Mexique | papier de soie, silhouettes découpées | Ferdinand C. Anders, don 1973 | IV 4564, IV 4567, IV 4568

La culture du riz marque la vie des communautés Warli en Inde de l’Ouest. Les activités quotidiennes et saisonnières dans les villages s’accompagnent de rituels et de fêtes. Ceux-ci renforcent la collaboration des habitant·e·s du village ainsi que leurs liens avec les divinités. Ils se déroulent au rythme de la croissance des plantes et servent à solliciter la bienveillance pour la récolte. Auparavant, les peintures Warli étaient réalisées avec des pigments à base de riz et décoraient surtout les murs des maisons. Aujourd’hui, on les dessine aussi à la peinture acrylique sur du papier recouvert d’un fond en bouse de vache. Jivya Soma Mashe (1934-2018) fut l’un des plus célèbres artistes de la peinture Warli contemporaine.

« Il y a les êtres humains, les oiseaux, les animaux, les insectes, etc. Jour et nuit il y a du mouvement. La vie est mouvement. » Jivya Soma Mashe, 2012

  1. Peinture Warli, culture et récolte du riz | Jivya Soma Mashe (1934-2018) | Dhahanu, Maharashtra, Inde | 1980 | papier, acrylique | Gallery Chemould, achat 1993 | IIa 10935
  2. Peinture Warli, travaux communautaires et rituels pour la culture du riz | non signé, probablement des collaborateurs·trices de Jivya Soma Mashe | Dhahanu, Maharashtra, Inde | vers 1980 | papier, acrylique | Gallery Chemould, achat 1993 | IIa 10939
Autres présences

Les esprits habitent les espaces limitrophes entre ce que l’humain connaît et ce qu’il ne connaît pas. Ils prennent part à la vie humaine. Parfois, ils émergent aussi de leurs sphères souterraines ou aériennes pour communiquer des messages ou perturber l’ordre humain. Les rencontres et les relations avec les esprits se transmettent à travers des histoires et constituent des sources d’inspiration pour les artistes.

Les mondes des Yolngu et des Kuninjku, en Australie du Nord, ont été formés par des êtres créateurs. Ceux-ci ont laissé non seulement leurs traces dans le paysage, mais ils ont aussi forgé des relations de parenté durables entre la terre, les animaux, les plantes, les esprits, les ancêtres et les humains.

«L’être humain n’est pas le maître absolu de l’univers, mais juste un élément dans un monde interdépendant composé de personnes, d’animaux, de plantes et d’esprits. » Bernard Narokobi, 1980

Les esprits représentés sur les peintures sur écorce se différencient des humains et des animaux par leurs attributs physiques. Les Mimi sont des êtres semblables aux humains, aux corps fins et allongés. Ils vivent dans les rochers de falaises escarpées. Leur monde possède son propre soleil, ses fleuves et ses arbres. On les voit ici lors de la chasse, de combats, et de cérémonies. Les Mimi sont timides et normalement bienveillants. Mais si on les effraie, ils peuvent punir les coupables par des maladies.

  1. Trois esprits Mimi, peinture sur écorce | Billy Yirawala| Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1963 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, échange 1966 | Va 1335
  2. Deux Mimi féminines et un kangourou, peinture sur écorce | Billy Yirawala| Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1960 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, achat 1962 | Va 1191
  3. Esprits Mimi, peinture sur écorce | Billy Yirawala| Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1960 | écorce d’eucalyptus, peinture | collection Karel Kupka, achat 1962 | Va 1190
  4. Deux Mimi féminines et deux Mimi masculins, peinture sur écorce | Nangunyari-Namiridali | Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1960 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, achat 1962 | Va 1194
  5. Mimi, tortue et crocodile, peinture sur écorce | Nangunyari-Namiridali | Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1963 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, échange 1966 | Va 1337
  6. Mimi et crocodile, peinture sur écorce | Nangunyari-Namiridali | Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1963 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, échange 1966 | Va 1336
  7. Des Mimi chassent un crocodile d’eau douce , peinture sur écorce | Nangunyari-Namiridali | Île Croker, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1960 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, achat 1962 | Va 1193

Namarrkon, l’esprit de l’éclair, vole dans le ciel et s’assoit sur les nuages de tempêtes lorsque s’annonce la période des moussons au nord de l’Australie. De là, il produit les bruits du tonnerre et lance des éclairs à travers le ciel. Mais seul le Serpent arc-en-ciel déclenche la pluie. Depuis son siège dans les nuages, Namarrkon observe les humains. Respectent-ils les instructions des ancêtres ? Lorsque quelque chose déplait à Namarrkon, il jette l’une des haches de pierre fixées à sa tête, ses coudes et ses genoux sur le lieu en question. Si la hache rate sa cible et touche un arbre, l’arbre fendu rappelle aux humains de respecter les règles. Dans les représentations, le corps de Namarrkon est entouré de lignes symbolisant le circuit électrique de l’éclair qui lui confère une grande force.

  1. Namarrkon, esprit de l’éclair, peinture sur écorce | Jimmy Midjawmidjaw | Oenpelli, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1960 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, achat 1962 | Va 1186
  2. Namarrkon, esprit de l’éclair, peinture sur écorce | Wumara | Oenpelli, Terre d’Arnhem du Nord, Australie | 1960 | écorce d’eucalyptus peinte | collection Karel Kupka, achat 1962 | Va 1176

Cette peinture sur écorce rend non seulement visible la présence de Yawkyawk, un esprit féminin de l’eau, dans le paysage, mais elle manifeste aussi sa force et son énergie. Chaque année, les Kuninjku organisent des cérémonies pour s’assurer que le Serpent arc-en-ciel maintienne le cycle des saisons. Le rôle de donneur de vie du Serpent arc-en-ciel s’exprime par son association à l’eau. Les œuvres de John Mawurndjul parlent de la coexistence des humains avec la terre, de comment ils façonnent leurs vies selon les règles et instructions des ancêtres en les adaptant à l’époque actuelle.

« Je peins les histoires du ‹temps du rêve› et les lieux qu’ont créés nos ancêtres, les lieux saints… Ce sont des histoires que mon père m’a racontées et que j’ai absorbées dans ma tête. » John Mawurndjul 2005

  1. mardayin, peinture sur écorce | John Mawurndjul | Maningrida, Terre d’Arnhelm de l’Ouest, Australie | 2004 | écorce d’eucalyptus, pigments naturels | Maningrida Arts and Culture, achat 2004| Va 1428
  2. Yawkyawk, peinture sur écorce | John Mawurndjul | Milmilngkan, Terre d’Arnhelm, Australie | 2005 | écorce d’eucalyptus, pigments naturels | Maningrida Arts and Culture achat 2005 | Va 1429

L’œuvre de John Mawurndjul est étroitement liée à la terre et aux êtres qui l’habitent. Il se rend régulièrement dans les falaises où se trouvent des peintures rupestres et dans les sites sacrés. Il dit: « Je viens ici souvent … et rêve des âmes de mes ancêtres … qui me racontent des histoires … ils partagent avec moi des idées et des motifs pour mes peintures rarrk. »

  1. rarrk |Ivo Kummer et Bernhard Lüthi | 2005 | Suisse | Extraits d’une installation | Insertfilm AG | avec l’aimable autorisation de Pedro Haldemann, 15 min

L’imagination et l’expression artistique de Timothy Akis (env. 1944-1984) se nourrissent des traditions orales de sa communauté. Il est devenu célèbre pour ses tableaux dans lesquels des êtres de la forêt, des animaux comme des lézards, des casoars, des wallabies et des humains dansent les uns avec les autres. Les titres narratifs de ses œuvres renvoient aux liens entre différents êtres qui se manifestent lors de leurs rencontres.

Gravures | Timothy Akis | Waigani, Papouasie–Nouvelle-Guinée | Avant 1974 | Papier, encre | Center for Creative Arts, achat 1974/75

  1. magani litimapin wanpela man, Wallaby, laisse l’homme en paix ! | Vb 27635
  2. man and dog, Homme et chien | Timothy Akis | Waigani, Papouasie–Nouvelle-Guinée | avant 1973 | Papier, encre de couleur | Meinhard et Gisela Schuster, don 2020| Vb 32150.01
  3. em i tingting bilong mi tasol, Toutes mes pensées | Vb 27645
  4. man i bilas, na dok na devel tupela i paitim em, Un homme est bien vêtu, un chien et un esprit le battent | Vb 7617
  5. man i mekim amamas antap long magani, Un homme effectue une danse de la joie sur un wallaby | Vb 27634
  6. tupela man holim han na pilai antap long wanpela muruk, Deux hommes se tiennent par la main et jouent sur le dos d’un casoar | Vb 27642
  7. man i rausim klia magani na palai, Un homme chasse un wallaby et un lézard | Vb 27637
  8. man na palai, Homme et lézard | Vb 27626

Dans la conception hindoue balinaise, le monde se divise en trois sphères superposées. Les volcans et les hautes montagnes sont le siège des divinités — et sont eux-mêmes des dieux. Le point culminant de l’île, le volcan encore actif Gunung Agung, est le siège des ancêtres divins et du dieu Shiva. Les humains habitent le monde du milieu, qui leur est prêté pour un temps par les ancêtres et les dieux. Ils ont créé des champs de riz en terrasses qu’ils nomment ‹échelles du ciel›. Sur l’invitation des humains, les dieux descendent chaque année quelques jours dans les temples du monde du milieu. Sous la terre ainsi que dans la mer vivent les démons et les maladies.

  1. Fête d’odalan au temple Pura Taman Ayun à Mengwi et rituels dans les risières | Peter Horner et Urs Ramseyer | Bali, Indonésie | années 1970 et 1980 | reproductions de diapositives | MKB A_96, MKB A_117, MKB A 242, MKB C_26, MKB C_79, MKB C_177, MKB C_522, MKB D_63, MKB E_1012, MKB E_1018, MKB E_1047, MKB E_1057, MKB E_1189, MKB E_1286, MKB E_1296, MKB E_1310, MKB E_1303, MKB E_1306, MKB E_1315, MKB E_1317, MKB E_1364, MKB F_304_1, MKB F_347, MKB P_111
Êtres de la terre

Dans bien des lieux, les montagnes, les rochers, les glaciers, les fleuves, les lacs, les océans et les phénomènes météorologiques sont considérés comme actifs. Ils font partie de la communauté du vivant et font monde avec les humains et les autres êtres.

Les systèmes juridiques régissent les intérêts, la propriété et l’autorité des humains. Ils justifient les violations, la pollution et la surexploitation des terres et de l’eau. Les peuples autochtones et les mouvements écologistes exigent de nouveaux droits pour les fleuves, les lacs et les montagnes. C’est ainsi que la terre-mère, Pachamama, est entrée dans la constitution nationale de l’Équateur en 2008 et dans celle de la Bolivie en 2009 en tant que dispensatrice de la force vitale. En 2017, le gouvernement néo-zélandais a accordé au fleuve Whanganui, ancêtre et membre de la famille des Maori, le statut de personne dotée de ses propres droits.

« Nous appartenons au fleuve, le fleuve ne nous appartient pas, le fleuve nous possède » Gerrard Albert, 2019

Dans l’hindouisme, le mont Meru ou Sumeru marque le centre du monde. Il est entouré de montagnes, lacs et continents ordonnés de façon circulaire. Au cœur du mont Meru réside le dieu Indra dans son palais. L’image est à la fois un outil d’enseignement et un objet de méditation. Il exprime les relations entre les mondes physiques et spirituels.

  1. Montagne du monde Sumeru, thangka | Tibet | 1872 | lin, gouache, brocart | collection Gerd-Wolfgang Essen, don FMB 1998 | IId 13862

Dans le jaïnisme, une communauté religieuse née en Inde, tous les êtres vivants aspirent à la libération du cycle des renaissances. Sont considérés comme vivants tous les êtres disposant d’un ou de plusieurs sens, ce qui inclut par conséquent non seulement les plantes et les animaux, mais aussi la terre, l’eau, l’air et les minéraux. À leur égard s’applique le principe de la non-violence ou de la non-nuisance, ahimsa. Les jaïns sont donc strictement végétariens et cultivent des relations respectueuses avec leur co-monde. Les guides spirituels comme les tirthankara (lit. ‹faiseurs·euses de gué›) rappellent ces principes. Ils sont représentés nus, car la non-nuisance inclut également le renoncement aux possessions matérielles. Parshvanath est considéré comme le promulgateur des quatre règles fondamentales qui, dans le jaïnisme, mènent à la libération : ne pas nuire, se comporter conformément à la vérité, ne pas voler et ne rien posséder d’inessentiel.

  1. tirthankara, sculpture d’un guide spirituel du jaïnisme | Gersoppa, Karnataka, Inde | avant 1850 | pierre | inspecteur de mission Joseph Friedrich Josenhans, don 1854 | IIa 288
  2. tirthankara Parshvanath, guide spirituel du jaïnisme | Gujarat, Inde | XVIIe/XVIIIe s. | bronze | Jean Eggmann, don 2003 | IIa 11304

Dans de nombreuses régions d’Inde, les ‹pierres de serpent›, nagakal, font partie d’autels à ciel ouvert. Les pierres sculptées sont placées sous des arbres pour demander la fertilité et protéger les champs. Parfois, des termitières non habitées sont transformées en lieux de culte pour vénérer les serpents. On fait des offrandes et on donne du lait aux reptiles qui y vivent. Les Nagaraja, mythiques rois des serpents, sont particulièrement vénérés. Ils sont considérés comme les protecteurs de trésors souterrains dont ils font bénéficier ceux qui leur accordent leur protection.

  1. nagakal, pierre de serpent | Inde | avant 1971 | pierre, peinture | collection de la Mission bâloise, dépôt 1981, don 2015 | IIa 9214
  2. nagakal, pierre de serpent | Inde | non daté | pierre, peinture | collection de la Mission bâloise, dépôt 1981, don 2015 | IIa 9839

Krishna, le populaire dieu-berger, est la huitième incarnation du dieu hindou Vishnu. Par le son de sa flûte, il peut envoûter aussi bien les humains que les animaux et manifester son affection à tous les êtres vivants. Lorsqu’il était enfant, il parvint à vaincre le serpent Kaliya qui empoisonnait l’eau du fleuve Yamuna. Au lieu de le tuer, Krishna lui ordonna de vivre désormais dans la mer pour que les humains et les animaux puissent à nouveau se baigner sans danger dans le fleuve.

  1. nagakal, pierre de serpent au Krishna dansant | Madurai, Tamil Nadu, Inde | avant 1920 | granit | Fritz Sarasin, don 1925 | IIa 549

Dans les Andes, la terre est personnifiée en tant que mère nourricière, Pachamama. Les humains doivent lui montrer respect et sollicitude et lui faire des offrandes. En échange, ils obtiennent le fruit des récoltes et les troupeaux de lamas, la santé et la fertilité. La négligence ou un manque de respect provoquent sa colère. Si Pachamama est blessée, elle punit les humains par des gelées, des sécheresses ou des tempêtes, des avalanches et des tremblements de terre.

Parmi les rares représentations figuratives, on trouve des petits sacs en forme de femme avec des enfants, que l’on nomme les sacs Pachamama. Ils servent à conserver de l’argent, des offrandes et des amulettes. Cela permet d’assurer l’abondance dans le ‹ giron fertile › de la divinité-mère.

« Nous, habitants des Andes, ne pouvons pas nous concevoir comme des êtres séparés de notre mère-terre, et nous ne pouvons pas non plus nous imaginer la Terre comme une planète inerte, sans vie. […] Nous sommes les fils et les filles de la terre Pachamama, c’est pourquoi notre cohabitation est harmonieuse et empreinte d’un grand respect. Car nos ancêtres disaient que la terre pense, parle, ressent et aime comme une mère ses enfants. » Leonidas Mamani, 2019

  1. Sac Pachamama | Ayata, Bolivie | XXe siècle | Laine | Thomas Meyer, achat 2003 | VI 43351

À travers des rituels d’apaisement et de réconciliation, les humains s’adressent à Pachamama. Selon la région et le type de rituel, on lui fait offrande d’aliments, de tabac, de feuilles de coca, de fleurs et d’animaux qu’on dépose dans la maison ou au sommet des montagnes, dans les fleuves et les sources ; on chante et on danse pour elle. Dans les lieux importants, les dons sont déposés sur une couverture à même le sol, dans le giron de la terre. Les premiers fruits des champs lors des récoltes lui sont offerts. Quand on boit, il faut arroser la terre avec la première gorgée, car elle aussi a ‹ soif ›. Dans des récipients de céramique, les humains offrent de la graisse de lama et des boissons alcoolisées à Pachamama.

  1. Feuilles de coca | Chia, Pérou | avant 1973 | coca | Jean Louis Christinat achat 1973 | IVc 15973
  2. Récipient à offrandes pour chicha, cocha para chicha | Uru‑Chipaya | Chipaya, Oruro, Bolivie | vers 1980 | argile cuite, laine | Collection Valentin Jaquet, don 2012 | BO 1337B
  3. Récipients à offrandes en forme de lama | Pérou | vers 1979 | Argile cuite | collection Valentin Jaquet don 2012 | PE 330, PE 331
  4. Récipients à offrandes en forme de lama | Pérou | 1979-1980, 1999 | argile cuite | collection Valentin Jaquet don 2012 | PE 333, PE 511, PE 920, PE 929B

Sur le continent africain, ainsi qu’au sein de la diaspora africaine au Brésil et dans les Caraïbes, Mami Wata incarne l’eau. Elle est vénérée, mais aussi crainte : comme l’eau, Mami Wata peut offrir la fertilité et la force vitale, l’abondance et le bonheur, mais ses flots sont aussi des forces menaçantes, imprévisibles et destructrices. Mami Wata et d’autres esprits de l’eau habitent les récifs de corail, les sources, les fleuves et les lacs. Ce sont les propriétaires des eaux ; ils surveillent la façon dont sont traités et répartis les biens communs comme l’eau et la terre, les poissons et les récoltes.

  1. Mami Wata, peinture sur verre | Bamako, Mali | avant 1979 | verre, carton, papier kraft, peinture | Bernhard Gardi, achat 1980 | III 22019
  2. Mami Wata, peinture sur verre | Bamako, Mali | avant 1987 | verre, peinture | Bernhard Gardi, achat 1987 | III 24660

Des êtres semblables aux humains, les boson, vivent au sommet des montagnes, dans les fleuves, les points d’eau et les arbres. Des spécialistes rituels assemblent des sculptures et des objets puissants sur des autels qui leur sont dédiés. Lors de séances accompagnées de chants et de tambours, les spécialistes entrent en contact avec les boson pour solliciter santé, fertilité et bien-être.

  1. Autel boson | Anyi | Côte d’Ivoire | XXe siècle | bois, peau, tissu, métal, verre, raphia, plastique | Kunstpalast Düsseldorf, don 2012 | III 27716— III 27720

Les artistes du cercle ‹Saint-Soleil› fondé en 1973, dont Richard Antilhomme (1922-2002), se sont intéressés au vaudou dans leurs créations. Dans cette philosophie et pratique spirituelle aux multiples facettes, Bondye, le dieu suprême, veille sur le monde à l’aide des loa, des esprits. Ils interagissent avec le vivant et le non-vivant et maintiennent ainsi l’équilibre au sein du cosmos. Les artistes rapportent que pendant leurs séances de peinture, des loa ‹ prenaient possession › d’eux : en état de transe, ils et elles représentaient ce que les esprits voulaient.

« Quand je peins un tableau, c’est le pinceau qui me guide. … L’oiseau t’apparaitra dans la nuit ; il te parlera et tu le comprendras. C’est exactement de la même façon que tous ces esprits seront en lien avec toi. Ils garantissent que tout se déroule bien. Cet esprit protège ton champ et sa croissance, tu vois ? Si tu ne l’as pas, ta semence peut être volée, mangée par des animaux ou rester stérile. Cet esprit veille donc à ce que ton champ pousse bien. Pense qu’on doit prêter attention à ce que disent les animaux. » Richard Antilhomme, 2018

  1. ‹Esprit de la semence›, peinture  | Richard Antilhomme | Haïti | 1990-1995 | huile sur carton | Heinrich Thommen et Marlyse Thommen-Strasser, don 2019 | IVc 26986

L’‹esprit du feu› et de l’art de la forge, Ogoun veille sur tout ce qui est en métal. Il descend d’une dynastie d’esprits puissants de guerriers yoruba d’Afrique de l’Ouest. Le rouge est la couleur dominante d’Ogoun. Elle incarne le feu, sa puissance transformatrice et destructrice. Ici, il apparait avec un chien, son animal préféré.

‹Esprit Macaya› fait référence à l’une des principales fêtes du vaudou haïtien. Elle a lieu fin décembre et symbolise le triomphe de la lumière sur l’obscurité. macaya désigne en particulier les feuilles sacrées qu’avec d’autres ingrédients, on ajoute à des bains purifiants organisés dans le cadre de la fête. Lors de la cérémonie de purification, celles et ceux qui servent les loa renouvellent leurs énergies pour entrer purifiés et protégés dans la nouvelle année.

  1. ‹Esprit du feu›, peinture | Richard Antilhomme | Haïti | 1990-1995 | carton rigide, peinture à l’huile | collection Heinrich Thommen et Marlyse Thommen-Strasser, don 2019 | IVc 26985
  2. ‹L’esprit Macaya›, peinture | Richard Antilhomme | Haïti | env. 1989 - 1991 | bois, peinture à l’huile | collection Heinrich Thommen et Marlyse Thommen-Strasser, don 2019 | IVc 26984

Les vallées alpines du canton du Valais sont difficiles à exploiter, car elles sont très sèches. On raconte que lors de la création du monde, Dieu aurait demandé à la population valaisanne qui devait assumer la responsabilité des eaux : lui ou la population ? La population valaisanne répondit : « Nous préférons nous en charger, il n’y a que comme cela que nous saurons que c’est bien fait. »

Pour l’irrigation, on construisit à grand-peine des canaux le long des versants escarpés afin de mener l’eau des fontes dans les champs de la vallée. Le bisse de Niwärch est déjà mentionné dans des documents de 1388 et consiste aujourd’hui encore en une voie de près de trois kilomètres en direction d’Ausserberg. Les bisses sont gérés et entretenus par les consortages. Les droits sur l’eau et les obligations collectives ont longtemps été consignés sur des tachères.

  1. Partie du bisse de Niwärch | Ausserberg, Valais, Suisse | avant 1914 | bois | Friedrich Gottlieb Stebler, achat 1914 | VI 6137
  2. Photographie du bisse de Niwärch | Baltschiedertal, Valais | vers 1914 | reproduction d’un positif n/b sur papier gélatino-argentique | Friedrich Gottlieb Stebler 1914 | documents de la collection du MKB VI_0645
  3. Tachères | Zeneggen, Valais, Suisse | vers 1841 | bois | Friedrich Gottlieb Stebler, achat 1923 | VI 9763
Sur la voie du vivre-ensemble

Quelles idées et quelles valeurs forment la base du vivre-ensemble ? Quels êtres sont reconnus comme nos co-habitant·es ? À l’égard de qui avons-nous des responsabilités ? Dans de nombreux lieux, les éthiques locales et indigènes ont survécu à la colonisation et à l’adaptation forcée. Elles insistent sur l’esprit de communauté et le bien-être collectif. Elles transmettent des valeurs et des pratiques de soin (et de sollicitude) qui n’incluent pas uniquement les humains, mais aussi d’autres êtres. L’idée de la non-violence et de la ‹non-nuisance› en Asie du Sud, le concept andin de la ‹bonne vie›, les formes de liens et de complémentarité, ubuntu, du sud de l’Afrique, ainsi que des modèles de vie et d’économie communautaires comme le concept des communs (commons) incitent à réfléchir à d’autres manières de vivre ensemble.

« Je suis, car tu es ; tu es, car nous sommes. » Maxime du sud de l’Afrique

« Pour nous, la terre est la grande maison dans laquelle nous vivons avec tous les autres êtres. » Maxime des Andes colombiennes

« Le monde que nous voulons est fait de beaucoup de mondes, tous y ont place. » Mouvement zapatiste, Quatrième Déclaration de la forêt Lacandone

Which way? Dans quelle direction allons-nous ?
Quelles sont les conséquences de nos actes ? Notre manière de penser et d’agir forme le futur. Tes réponses dans le jeu te montreront la direction que tu prends et t’inviteront à débattre de questions éthiques. Alors, où te guident tes décisions?

Perspectives

Que signifie vivre avec d’autres dans des mondes entrelacés et en des temps incertains ? Les humains jouent un rôle essentiel dans l’histoire mortifère contemporaine : destruction de la Terre et extinction massive d’animaux et de plantes. Allons-nous nous éteindre avec eux ? Ou bien pouvons-nous espérer survivre avec les arbres et les champignons qui résistèrent aux catastrophes nucléaires ?

Dans « L’art de vivre sur une planète endommagée », il n’est pas question de trouver d’autres mondes ni d’annexer l’espace, pas plus que de fuir dans un avenir qu’on pense sûr. Il s’agit bien plus de reconnaître la pluralité des manières de faire monde. Ouverture et dialogue, récit et fiction, sciences et art sont des outils à cet effet.

« La tâche consiste à trouver des liens de parenté le long de lignes de connexion inventives et à développer une pratique de l’apprentissage qui nous permette, dans un présent dense, de bien vivre et mourir ensemble. » Donna Haraway, 2018

Dans The End, le dessinateur Zep explore une vision apocalyptique du futur : les arbres se retournent contre les humains et provoquent leur extinction massive. Il imagine les humains dans une sorte de période probatoire : le co-monde n’a pas encore décidé s’ils pourront rester sur terre. À travers cette histoire, Zep plaide en faveur d’un avenir dans lequel les humains entrent en dialogue avec le vivant et rétablissent le lien avec les autres êtres.

« Je constate que le réflexe écologique est encore souvent teinté du sentiment de supériorité humaine : ‹nous devons protéger la nature›...comme si elle était faible et que nous étions les gardiens de la planète. Or nous ne sommes que les derniers arrivés, ceux qui ont le moins conscience des autres espèces. Depuis quelques temps, l’idée – révolutionnaire – qu’il y a une forme d’intelligence dans la nature et chez les arbres en particulier se développe. Je pense que nous devons d’abord écouter cette sagesse de la nature pour trouver notre place dans cette partition du vivant. » Philippe Chappuis alias Zep, 2023

  1. « The End », reproduction de planches de bande dessinée, p. 6, 14, 24, 25, 48, 49, 66, 70, 71, 77, 89, 92 | Zep | Schreiber & Leser, Allemagne | 2020 | avec l’aimable autorisation de Philippe Chappuis (alias Zep)

Outre la vente de miel et de cire, le commerce d’abeilles à miel était aussi lucratif pour les paysans slovènes du XVIIIe et du XIXe siècle : l’abeille carniolienne de Slovénie, Apis mellifera carnica, est jusqu’à nos jours répandue dans le monde entier. La façade des ruches était décorée de motifs religieux et quotidiens qui servaient également à identifier les étages.

  1. Planche d’un étage de ruche au motif biblique | Slovénie | vers 1830 | bois, peinture | Robert Wildhaber, achat 1964 | VI 31110
  2. Planches d’étages de ruche | Slovénie | probablement 1e moitié du XXe siècle | bois, peinture | Gottlieb Hofer, achat 1971 | planche représentant une scène paysanne VI 39201, planche au motif du genre ‹Monde à l’envers› VI 39202, planche représentant des jeux autour de la récolte du lin VI 39203, planche représentant une partie de cartes ‹kvartapirci› VI 39205, planche à la représentation stéréotypée d’un Turc lors d’une négociation de mariage VI 39206

Plus de 70 pour cent des cent principales espèces de plantes cultivées du monde sont pollinisées par les abeilles. Sans elles, un tiers de l’alimentation humaine n’existerait pas. Toutefois, les abeilles et les insectes commencent à disparaître de manière inquiétante dans le monde entier. Que signifierait la disparition du bee power, le pouvoir des abeilles ? Caméra en main, Markus Imhoof a suivi des abeilles, protagonistes principales de son documentaire, et rend compte de diverses relations humaines avec elles. Il montre un apiculteur de montagne suisse ‹traditionnel›, rend visite à un fabricant de miel industriel des plantations d’amandes de Californie et voyage dans le nord de la Chine, où les fleurs des arbres fruitiers doivent déjà être pollinisées à la main.

« La relation millénaire entre les humains et les abeilles montre de plus en plus le conflit entre civilisation et nature. Ce faisant, se pose une question fondamentale : l’être humain fait-il partie de la nature ? Ou voulons-nous nous en séparer et la soumettre ? N’existe-t-il pas une possibilité de symbiose fructueuse entre toutes les parties – les abeilles, les apiculteurs, les plantes, les paysans, les commerçants et les consommateurs – une sorte d’orchestre ‹ Allstar Jazz › avec de nombreux·euses solistes qui s’écoutent toutes et tous les uns les autres afin de jouer ensemble ? Une intelligence d’essaim utopique. » Imhoof & Lieckfeld, 2013

  1. ‹More Than Honey› | Markus Imhoof | 2012 | Suisse | extraits du documentaire | © Thelma Film AG, Ormenis Film AG | avec l’aimable autorisation de Markus Imhoof, 11 min

Les champignons représentent non seulement la force de la création de réseaux et de la collaboration, ils sont aussi extrêmement résistants : le premier être qui poussa dans les ruines d’Hiroshima après l’explosion de la bombe atomique fut un champignon matsutaké. Cinq ans après l’accident du réacteur à Tchernobyl, un champignon noir a grandi au plus profond du réacteur. La moisissure prend dans la station spatiale ISS. Comme le montre Marion Neumann, la crise planétaire recèle d’occasions prometteuses pour les champignons : le film invite à les écouter et à plonger dans leur monde pour le changer radicalement avec leur aide.

« Les champignons m’encouragent à explorer l’inconnu, à regarder sous la surface, à m’adapter et à respecter les imperfections, mais aussi à ralentir afin de trouver des voies alternatives. En observant la conscience des champignons, je tente de célébrer une relation joyeuse au monde. Qu’il s’agisse de la signification d’une expérience profonde, de la culture d’aliments sains, de la revitalisation des terres ou de la création de liens entre les humains, la recherche sur les capacités des champignons me permet de découvrir la fertilité de la terre. Les champignons ont la capacité surprenante de modifier très rapidement les choses. Et nous aussi. » Marion Neumann, 2023

  1. ‹The Mushroom Speaks› | Marion Neumann | 2021 | Suisse | extraits du documentaire | Intermezzo Films | avec l’aimable autorisation de Marion Neumann, 9 min

Les séparations entre choses ‹ naturelles › et ‹ culturelles › sont recréées en permanence : dans la répartition des institutions, des sciences et des collections. Cependant, les choses mêmes s’opposent à ce classement et renvoient à la diversité et à la polysémie des catégorisations. C’est pour cela que nous défendons une vision fluide des transitions, la remise en question des classifications établies et la recherche de formes interconnectées de production du savoir.

« Les trois grandes séparations qui nous ont menés, en tant qu’espèce, au bord de l’extinction sont la séparation entre l’humain et la nature, celle des humains entre eux par le biais de la classe, de la religion, de la race et du genre, et celle entre le soi et notre être global, interconnecté. » Vandana Shiva & Kartikey Shiva, 2020

  1. Choses ‹naturelles› | Suisse, Allemagne, Écosse, Irlande, Italie, Serbie, Danemark, Finlande, Norvège, Estonie | 1900-1980 | Minéraux, composantes animales et végétales | H. F. Feilberg, Hans in der Gand, Markus Giss, Julius August Konietzko, Leopold Rütimeyer, Friedrich Gottlieb Stebler, Annemarie Weis | informations plus détaillées sur le code QR

Les histoires suscitent la curiosité, l’ouverture et la sensibilité. Elles constituent également une stratégie ayant fait ses preuves pour surmonter les crises. La théorie du fourre-tout de la fiction que propose Ursula K. Le Guin pour raconter des histoires nous a inspirées. Elle décrit les sacs en filet comme les premiers contenants utilisés par les humains pour collecter, porter et partager l’alimentation végétale. Les histoires sont comme de grands filets dans lesquels on recueille et transmet les choses significatives et substantielles de la vie. Il en va de même pour les histoires des entrelacs du vivant dans cette exposition.

  1. Sacs en filet | Cameroun du Nord, Soudan du Sud, Pérou, Paraguay, Papouasie-Nouvelle-Guinée | 1910-2017 | Gerhard Baer, Alfred Bühler, Adam David, René Gardi, Verena Regehr, Gisela et Meinhard Schuster | informations plus détaillées sur le code QR
Entrelacs du vivant

De même que les autres êtres, les humains ne sont pas des îles. Leur collaboration mutuelle est indispensable à la vie : nous devenons et existons ensemble. Les humains et les autres êtres forment des collectifs, des réseaux et des structures. Les voix indigènes et locales ne sont pas les seules à souligner que la vie naît des liens, des échanges et de la coopération. Des recherches scientifiques des plus récentes montrent elles aussi que la vie repose sur des symbioses. Les histoires exercent une énorme influence sur l’organisation de la coexistence : elles lient, tressent et tissent des relations. Alors, quel avenir voulons-nous dessiner ?

« Quelles questions nous permettent de réfléchir à d’autres questions ? Quelles histoires racontons-nous lorsque nous racontons d’autres histoires ? Quels nœuds nouent d’autres nœuds ? Quelles pensées pensent des pensées ? Quelles descriptions décrivent des descriptions ? Quels liens lient des liens ?

Tout cela compte. Quelles histoires font des mondes ? Quels mondes font des histoires ? Cela compte aussi. » Donna Haraway 2020

Les photographies documentent les conséquences de la déforestation et du commerce du bois, des feux de forêt ravageurs et de la pollution de l’air ainsi que les conditions de travail sur les plantations illégales d’huile de palme à Bornéo. À Bornéo, mais aussi en Papouasie–Nouvelle-Guinée, au Congo ou en Amazonie, les forêts tropicales et la diversité de leurs espèces sont menacées par la déforestation massive visant à faire place aux monocultures de soja, d’huile de palme ou de canne à sucre.

« Le soleil avait cessé de briller à Bornéo. La mousson s’évaporait avant de toucher le sol. La plus grande île de l’archipel était enveloppée de fumée… Sous cette couverture de fumée, les réserves de charbon brûlaient sous la terre, calcinant les entrelacs de racines des derniers bois de fer de la forêt tropicale. Les arbres se dressaient encore alors même que leur cœur avait été réduit en charbon. » Daniel Schwartz, 2003

  1. ‹Borneo. Destruction Business ›, Bornéo, une affaire de destruction | Daniel Schwartz | Bornéo, Malaisie et Indonésie | 1998/1999 | Reproductions digitales et pigments sur Wallpaper Fine Art 180g des 12 Vintage Silbergelatine Multiple Exposure Composite Prints | achat à l’aide du fonds Werenfels 2021 | (F)IIc 41142— (F)IIc 41153

Bruno Manser était activement engagé pour la conservation de la forêt tropicale et l’espace vital des Penan à Bornéo. Depuis mai 2000, les proches de Bruno Manser sont sans nouvelles de lui ; en 2005, il a été officiellement déclaré disparu. En tout, il aura passé six ans auprès des Penan (1984-1990). Durant ces années, il a consigné ses expériences et tout ce qu’il a appris dans ses journaux.

«Poursuivre ces questions nous permet de percevoir les liens qui existent et de prendre conscience que notre terre, avec toutes ses formes de vie, fonctionne comme un organisme vivant dans lequel chaque chose est en relation avec une autre » Bruno Manser 1988

  1. Pages tirées des journaux de Bruno Manser (1954-2000) | Sarawak et Kalimantan, Bornéo, Malaisie | 1984-89 | papier, encre, crayon de couleur, crayon à papier | communauté héréditaire de Bruno Manser, don 2021
  2. Photographies de la forêt tropicale | Bruno Manser, John Kuenzli et anonyme | Sarawak et Kalimantan, Bornéo, Malaysie | 1996-2000 | reproductions digitales | avec l’aimable autorisation du Bruno Manser Fonds

Les Penan utilisaient ces corbeilles pour transporter le mobilier de ménage lors de leurs déplacements réguliers : nattes de toit et de couchage, couvertures, marmites, éventails et pinces à feu, haches, poison de flèches, eau et aliments. On y portait aussi les jeunes enfants qui ne savaient pas encore marcher.

Bruno Manser consigna minutieusement la fabrication de ces corbeilles. Il décrivit les diverses sortes de rotin utilisées pour les différentes parties de la corbeille, le processus de coloration des bandes tressées plus foncées et dessina des instructions de tressage.

  1. kiwáh, corbeille se portant sur le dos | Sarawak, Bornéo du Nord, Malaisie | années 1980/1990 | rotin, ficelles végétales et synthétiques, tressé | Communauté héréditaire de Bruno Manser, don 2022 | IIc 25612

Inspiré par les dessins des journaux de Bruno Manser, l’Institut für Textiles Forschen (Institut pour la recherche textile) de Bâle a conçu et créé un arbre géant à nombreuses racines. Grâce à ses racines aériennes très ramifiées, l’arbre nous engage à la réflexion… et à la participation : les visiteur·ses sont invité∙es à poursuivre le tissage de la sculpture pour ainsi se lier à d’autres et se sentir partie prenante des entrelacs du vivant. Il offre la possibilité de tisser des liens de parenté autres que biologiques.

« Le tissu organique, qui croit par les nœuds et le tissage, se réfère aux réseaux et liens entre tous les êtres. Les nœuds expriment leur interdépendance tout en renvoyant à la sensibilité et à la fragilité de leurs relations. » Institut für Textiles Forschen (Institut pour la recherche textile), 2023

  1. Arbre géant, Institut für Textiles Forschen (Institut pour la recherche textile) | Bâle | 2023 | chanvre, métal, pigment naturel